Communiqué

Villes-modèles

En 2018, Denis BOCQUET, Professeur d’histoire et théories de l’architecture et de la ville à l’ENSAS, répondait à Sylvia DUBOST pour le magazine ZAP#1 dans le cadre dossier « (Re)Fabriquer la ville ». Que nous dit la forme des villes sur la société qui les a conçues ? Beaucoup de choses… à condition de bien savoir regarder ! À l’occasion du colloque « Accélérations urbaines » les 9 et 10 octobre, nous vous invitons à redécouvrir ces propos sur les « Villes-modèles ».

 

La forme est un leurre               

« La forme d’une ville ne résulte jamais de l’application mécanique d’un modèle, mais d’un ensemble d’interactions complexes, de négociations… Pour comprendre la forme, il faut étudier le processus autant que le résultat, qui peut nous laisser croire ce qu’il affiche. […] En même temps, le modèle c’est l’oubli du sens critique. Aujourd’hui, celui qu’on ne remet pas en question, c’est celui de la ville durable.»

 

L’exemple de la cité-jardin en général…

« C’est une idée de l’urbaniste Ebenezer Howard, appropriée par des gens très différents, dans des contextes très différents. Les premières cités-jardins britanniques tentaient d’approcher ce modèle. À la même époque, il est exporté vers le monde germanique, par exemple à Berlin-Frohnau dans années 1920, où l’on est pourtant très loin de l’idée sociale de base puisqu’il s’agit de vendre des villas très cher à de riches propriétaires. On le retrouve également dans le contexte de l’apartheid, où il devient matérialisation d’une séparation raciale.»

 

…celle du Stockfeld en particulier

« Il y a une jonction intéressante avec le quartier du Neuhof, qui raconte deux phases du logement social. La première a été construite entre 1910 et 1912 pour les expulsés de Grande-Percée [notamment la rue du 22 Novembre, ndlr]. Le processus était violent mais la forme douce. La deuxième raconte celui d’après-guerre avec l’émergence du paradigme HLM, l’histoire de la migration, la stigmatisation sociale qui a augmenté assez précocement et s’est doublée d’une perception critique de l’immigration. Cela résume de nombreux débats urbains »

 

La ville contemporaine

« Depuis le milieu du 19e siècle, on a mis en place pas mal d’instruments pour protéger des valeurs de bien commun. Aujourd’hui, on arrive à un tournant, et on assiste aussi à sa traduction urbaine. Dans le passé, les opérations d’urbanisme étaient parfois violentes et décontextualisées, mais elles représentaient une vision, une exigence de bien commun. Aujourd’hui, on dessine des cases pour des investisseurs. Je l’ai particulièrement étudié pour Berlin. Alors que la ville était réputée pour ses instruments d’urbanisme tournés vers l’équité sociale, elle a renoncé a beaucoup de choses dans l’espoir d’attirer les investisseurs. Aujourd’hui, on n’a plus les instruments pour réexiger du bien commun.»