Depuis 2019, Frédéric Rossano, paysagiste et enseignant à l’ENSAS, anime l’atelier Eau, ville, paysage. Une pédagogie où liberté de création et pluridisciplinarité se confrontent aux problématiques de terrain des communes. Les étudiants apportent un regard extérieur, des idées nouvelles, et les élus et responsables techniques leur connaissance des contraintes. Vendredi 21 novembre, ils se sont rencontrés pour une présentation intermédiaire des projets.
« Vous êtes sortis du cadre, c’est intéressant. Avec des idées auxquelles nous n’aurions pas pensé. Il y a une certaine prise de risque, c’est bien, vous relevez le défi. Votre idée de réduire le gabarit de la route pacifiera la circulation. C’est ce que nous recherchions : un mélange de propositions, qui peuvent surprendre. Certaines seront gardées, vous plantez des petites graines… » commente Luc Adoneth, maire de Châtenois, venu assister à la présentation intermédiaire des quatre équipes d’étudiants de l’ENSAS et de l’ENGEES, l’école de l’eau et de l’environnement.
Approche intégrée
Depuis septembre, une vingtaine d’étudiants en dernière année planchent sur le cas concret de la commune, désireuse de revoir ses aménagements urbains et paysagers pour limiter l’impact des crues. En 2021, des pluies exceptionnelles avaient occasionné de sérieux dégâts.
En équipe mixte de cinq étudiants - quatre de l’ENSAS, un de l’ENGEES -, ils ont analysé l’existant, les problématiques, le territoire, pour étudier le ruissellement, les ouvrages hydrauliques, les volumes d’eaux pluviales, la topographie, les circulations, l’occupation des sols… Le point de départ pour imaginer des solutions alliant paysage, urbanisme et gestion durable de l’eau.
C’est tout l’esprit de l’atelier : la pluridisciplinarité architecte-urbaniste et ingénieur hydraulicien pour apprendre à collaborer, le cas concret pour ancrer les projets dans la réalité et la confrontation aux élus et responsables techniques. « L’idée est d’intégrer les approches dès la conception des projets. Mieux elles sont intégrées en amont, plus solide sera le projet » assure Frédéric Rossano. Ce que corroborent les étudiants, comme Alioune Gueye, élève de l’ENGEES : « La collaboration m’a montré l’importance d’intégrer les solutions hydrauliques dans le paysage, pour l’esthétique et le cadre de vie. Nous sommes complémentaires. »
En TD sur les eaux pluviales, avec Ludivine Moreno et Melisande Oget du SDEA - Crédit : Frédéric RossanoHaies sèches, noues, jardins d’eau
Les étudiants ont par exemple proposé des solutions simples et peu coûteuses, mais efficaces, pour contenir le ruissellement : labourer dans le sens inverse de la pente, creuser des noues et des fossés, border les sentiers de rondins ou de haies mortes… Les projets intègrent des jardins d’eau, un pôle de mobilité douce, des pistes cyclables, des sentiers pédestres et pédagogiques, la valorisation d’arbres centenaires, de zones humides et végétalisées, de la biodiversité… Certaines idées, plus audacieuses, prévoient de transformer un rond-point en un carrefour, de réduire le gabarit de la route pour apaiser la circulation, d’aménager un parc inondable ou des chicanes, ou encore de convertir l’ancienne gare ou l’auberge abandonnée en centre pédagogique.
Parfois, leurs idées se heurtent aux contraintes réglementaires, techniques ou budgétaires, soulevées par les élus : « s’il faut déplacer les réseaux souterrains, il faut oublier, ce sera un gouffre financier », « la requalification de l’ancienne auberge est une bonne idée, mais elle n’appartient pas à la mairie, nous n’avons pas la main », « le plan local d’urbanisme classe ces parcelles en zone urbanisable, les destiner à un bassin de rétention est utopique ».
Et c’est tant mieux. D’un côté, les élus, qui ont « la tête pleine de contraintes » et vivent le territoire au quotidien, peinent parfois à imaginer des solutions innovantes. De l’autre, les étudiants entrent « dans la phase d’atterrissement », selon la formule de Frédéric Rossano. Volontairement, l’enseignant ne leur a pas indiqué toutes les contraintes, pour qu’ils gardent une certaine « liberté créative ».
Plan du sud de Châtenois matérialisant les eaux de ruissèlement (en bleu) et les propositions d’aménagement pour leur rétention (noues ou fossés en vert,fossé à redents en rouge, bordures rehaussées en orange…) - Crédit : Emilie Lucot, Romane Schwalm, Alioune Gueye, Arthur Léon, Julie Huertas« L’art de la conciliation »
« Pour nous, ces idées nouvelles, ce regard extérieur, c’est précieux. Cela enrichit notre réflexion » confie le maire. Pour les étudiants aussi. C’est confronter leur rêve à la réalité. « Il faut garder cet équilibre entre créativité et réalité, cet art de la conciliation » estime l’enseignant.
Le Syndicat des eaux et de l’assainissement Alsace-Moselle (SDEA) est désormais partenaire de l’atelier, qui a reçu le Coup de cœur aux Trophées de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse en 2021. Preuve que cette pédagogie active séduit la profession. « Cet atelier est source d’innovation. Intégrer la gestion des eaux pluviales en repensant le tissu urbain rend les territoires résilients, c’est plus durable que de simples déraccordements ponctuels. Il nous ouvre aussi à d’autres concepts d’urbanité. Cette collaboration fait évoluer chacun, on s’enrichit les uns les autres » confie Franck Hufschmitt, directeur de la transition écologique au SDEA.
Suite de l’atelier : imaginer des projets démonstrateurs sur quatre parcelles proposées par la commune - Crédit : S. RobertLes étudiants vont désormais approfondir leur projet en intégrant ces contraintes pour le présenter au jury le 19 décembre 2025. En janvier, ils affineront leurs rendus (maquettes, plans, dessins, rapport…) pour l’exposition des projets.
Esquisse issue de la présentation intermédiaire des projets, illustrant des propositions d’aménagement intégré : un parc inondable, un jardin de pluie, un bassin sec Crédit : Helia Brams, Antoine Guillemier, Tom Jehli, Niels Fily Keller, Justin ProchPar Stéphanie Robert.