Le projet de Le Corbusier sur Izmir, à l’occasion d’une commande passée en 1939 pour un nouveau plan d’urbanisme, n’était connu que de quelques spécialistes en France ou en Turquie. Victime de la situation internationale et ralentie par de laborieuses tractations avec les autorités de la ville d’Izmir, le travail de l’architecte français aboutit en 1949, mais l’envoi du projet plongea les responsables smyrniotes dans la plus grande perplexité.
Le dossier a disparu des services de la ville. Par chance, un double était conservé par la Fondation Le Corbusier, ainsi que des dessins originaux en rapport avec le plan d’urbanisme ; ces pièces ont été présentées lors des expositions d’Izmir et de Strasbourg (mai et juillet 2009).
Au fil de ces témoignages, ponctués d’anecdotes, de rencontres historiques ou sentimentales, le catalogue retrace la place du projet d’Izmir dans l’oeuvre urbanistique de Le Corbusier.
La Turquie occupe une place importante dans l’élaboration de la théorie corbuséenne, tant architecturale qu’urbaine. Manifestement le voyage d’Orient constitue en 1911 une révélation pour celui qui s’appelle encore Jeanneret puisqu’il s’attelle à sa publication quelques semaines avant sa mort.
Presque quarante ans séparent le voyage d’Orient de sa visite à Izmir en octobre 1948. On pourrait penser que ce n’est pas le même homme qui se rend en Turquie; néanmoins il a tenu, lors de son escale stambouliote d’après-guerre, à revoir certains lieux qui l’avaient émerveillé dans sa jeunesse. Malheureusement, nous n’avons retrouvé aucun des nombreux croquis qu’il fit, selon ses guides, lors de ce second voyage.
D’une époque à l’autre, son approche de l’architecture turque semble très différente. En 1911, l’architecture traditionnelle ottomane lui procure une admirable source d’inspiration, face à l’occidentalisation d’Istanbul qu’il déplore. En revanche, en 1948, il ne semble pas trouver un quelconque intérêt à la ville ancienne d’Izmir, dont il ne mentionne aucun bâtiment. Certes, Izmir n’est pas Istanbul, mais surtout il souhaite concourir à la modernisation de la métropole égéenne initiée par un maire d’exception, le docteur Behçet Uz.
Cette attitude sera fatale au projet d’Izmir, car en 1949, c’est entre autres cette volonté de « tabula rasa » qui lui est reprochée.
Ce projet connaîtra le sort des plans contemporains pour La Rochelle, Saint-Dié ou Bogotá.
Au vu de l’intérêt que souleva en 2006 l’exposition « Smyrne/Izmir. Portrait d’une ville au travers des collections françaises », nous pensions qu’il était logique de nous intéresser à cet épisode de collaboration franco-turque ; nous avions commencé à réunir une base documentaire et prendre des contacts avec ceux qui, en France et en Turquie, s’étaient déjà penché sur cette question.
En 2008, lors de la tenue d’un workshop d’urbanisme conjoint entre l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg et la faculté d’urbanisme de l’Université Dokuz Eylül d’Izmir, fut décidé de mettre en oeuvre ce projet, avec l’appui de nos deux collègues strasbourgeois, Christiane Garnero Morena et Volker Ziegler.
Du côté turc, il était inconcevable de mener ce projet sans la participation de Cânâ Bilsel, architecte-chercheur à la Middle East Technical University (Ankara), qui avait déjà publié sur le sujet à partir de recherches effectuées à la Fondation Le Corbusier.
Nos interlocuteurs turcs nous informèrent cependant d’un écueil : le dossier envoyé en décembre 1948 par Le Corbusier, et qui au sein des services de la ville était passé par tant de mains au cours des années cinquante, avait disparu ! Par chance, la Fondation Le Corbusier disposait d’un double, non seulement de la quasi totalité du dossier égaré à Izmir, mais également de vingt-six documents originaux en relation avec le projet. L’autorisation de prêt rendit notre projet d’exposition possible. Les responsables de la Fondation, en particulier Isabelle Godineau, ont apporté une aide précieuse et efficace.
Au moment où la présentation du projet de Le Corbusier à Izmir se concrétisait, les responsables turcs et français de la « Saison de la Turquie en France » (juillet 2009-mars 2010) retenaient avec enthousiasme ce projet d’exposition en France dans le cadre des manifestations culturelles de cette saison. À Strasbourg le maire, Roland Ries, Daniel Payot, adjoint à la Culture, ainsi que Philippe Bach, directeur de l’École Nationale Supérieure d’Architecture, ont mobilisé des moyens pour rendre cette exposition réalisable.
Nous sommes donc heureux, avec le catalogue de cette exposition, de compléter d’une façon pérenne les deux événements que constitue, à Izmir puis à Strasbourg, l’exposition des dessins originaux de Le Corbusier. On a cherché à les replacer dans un contexte qui permette de comprendre la place du projet d’Izmir dans l’oeuvre urbanistique du maître.
Jean-Luc Maeso, Didier Laroche